Le Cœur de l’Angleterre

Jonathan Coe, Gallimard, coll. «Du Monde entier », août 2019, 550 p., 23€

Roman du Brexit, roman de l’Angleterre… Voilà ce que tous ceux qui l’ont lu disent déjà de ce livre. Oui mais cela va bien au-delà. Jonathan Coe réussit l’exploit de réaliser ce que son héros Benjamin Trotter s’était donné pour projet de faire : écrire un roman global, qui raconterait à la fois sa propre vie et l’histoire anglaise. Dire la substance de son pays, au travers de celles de ses personnages. Un tout-en-un magistral et parfaitement réussi !

Le roman démarre en avril 2010 pour s’achever en septembre 2018. On retrouve Benjamin Trotter, cinquantenaire et romancier en herbe (cela fait vingt ans qu’il écrit, donc, le roman de sa vie, mêlant son histoire et celle de son pays) et quelques personnages qui gravitent autour de lui : sa sœur Lois, sa nièce Sophie, universitaire, spécialiste de l’histoire de l’art, et quelques-uns de ses amis dont Doug, journaliste politique. Les tranches de vie et points de vue de ces personnages se succèdent, dans un ballet bien ordonné : Benjamin parviendra-t-il à achever son livre ? Sophie à rencontrer l’amour, en-dehors du milieu universitaire qu’elle connaît par cœur ? Doug à analyser avec la plus grande finesse le dessous des cartes politiques ?

On rit dans ce livre ! J’ai retrouvé avec joie le Jonathan Coe du début, celui du «Testament à l’anglaise » que j’avais tellement aimé, et notamment pour son ironie et sa façon, l’air de rien, de faire rire en finesse, sans moquerie, simplement avec tendresse. Un exemple parmi cent : Benjamin et Philip, son meilleur ami, se retrouvent régulièrement chez Woodlands, une jardinerie à mi-chemin de leurs domiciles respectifs. A l’occasion d’un de ces rendez-vous, Philip, éditeur, rencontre un auteur potentiel. S’ensuit la recherche d’un endroit tranquille pour qu’il expose son projet. Et une errance, de cabane de jardin en cabane de jardin. Cela fait une page, deux maximum, mais cela m’a suffi pour rire aux larmes… Conclusion de Benjamin, à qui son ami Philip propose qu’ils se retrouvent la prochaine fois dans un autre endroit : « Non, j’aime bien cet endroit. C’est toujours une aventure, on ne sait jamais ce qu’on va trouver. Parfois c’est sympa, parfois c’est désagréable, et le plus souvent c’est tout ce qu’il y a de plus bizarre. Mais voilà, c’est l’Angleterre. Elle nous colle aux semelles » (p. 95). Ou comment, de quelques pages anecdotiques, savoureuses, dresser un portrait du pays. Et tout le livre est à l’avenant ! Des scènes drôles, il y en a bien d’autres, impossible de toutes les citer, et je veux vous garder le plaisir de la lecture et de la découverte. Mais le mariage, la politique, l’écriture (et le dur métier d’écrivain, les pages 149 et suivantes m’ont fait éclater de rire à voix très haute !) sont quelques-uns des sujets qui en sont le support.

Le cœur du livre cependant,  c’est l’évolution de l’Angleterre et de ses habitants. Comment, en quelques années, le pays, ou une partie de celui-ci, s’est refermé un peu plus sur lui-même, dans sa peur des autres, pour aboutir à ce Brexit (appelé un temps « Brixit » par les hommes politiques, montrant ainsi leur déconnexion totale de la réalité ! apprend-on au détour d’une page). Les portraits dressés de quelques personnages, le père de Benjamin, la belle-mère de Sophie, et quelques autres, sont pour cela éclairants. Et surtout, les scènes entre Doug et un de ses contacts au gouvernement de David Cameron, en charge de la communication, sont incroyables ! Il faut les lire et les relire (voir notamment p. 347 et 430).

Enfin plutôt, le centre du roman c’est l’Angleterre tout court, pas seulement son évolution. Comme le montre d’ailleurs l’intitulé des trois parties qui constituent le récit : La joyeuse Angleterre, L’Angleterre profonde, La vieille Angleterre. Et après avoir refermé ce livre, on se dit qu’il a permis de la toucher du doigt, ou du cœur plutôt. Un morceau du livre est à ce propos emblématique, et restera, à mon sens, comme un des grands moments de littérature contemporaine : il s’agit du récit de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres en juillet 2012, et la façon dont elle est vécue par les multiples personnages du livre. On perçoit la pluralité du pays, son excentricité, son caractère unique ; et la fierté de tous ses habitants d’en être les ressortissants. Tout y est.

Alors ce livre il est pour qui ? Il est pour ceux qui aiment se distraire en apprenant, car vraiment, le visage qu’il dresse de l’Angleterre, mais aussi de l’Europe d’aujourd’hui, est instructif et passionnant. Il est pour les amoureux de l’Angleterre bien sûr ! Il est pour ceux qui aiment ou ont aimé Jonathan Coe, celui de « Testament à l’anglaise ». Il est pour ceux qui aiment rire, car oui vraiment, on y rit à gorge déployée !

Ce livre est un symbole, il marquera la décennie 2010.

Vous l’avez compris, c’est un énorme coup de cœur !!! Notez la date du 29 août où il sera possible de le trouver en librairie…

Marie-Eve

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