Le plaisir d’une madeleine retrouvée

Auteur de plus d’une trentaine de romans, et deux ans après la parution de « Chevreuse », Patrick Modiano revient avec « La Danseuse ». On y retrouve les thèmes chers à l’auteur : un Paris disparu que le narrateur arpente inlassablement, le temps passé, les souvenirs, les milieux troubles ou interlopes, les femmes.

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Pleine et douce

Camille Froidevaux-Metterie, Sabine Wespieser, janvier 2023, 216 p., 20€

Immense coup de cœur pour ce premier roman de Camille Froidevaux-Metterie, que l’on connaissait déjà pour ses essais. Et ce premier roman-là, c’est, à n’en pas douter, un coup de maître !

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Soit douze voix féminines qui, à tour de rôle prennent la parole. C’est Eve, huit mois, nouvelle-née, qui ouvre la ronde. Et c’est sa naissance, et la fête que veut donner sa mère Stéphanie pour la célébrer, qui fournit l’axe autour duquel s’articulent toutes ces voix. Fille donc, mère, tantes, cousine, grand-mère, nounou, grande-tante, amies… chacune sa voix propre, chacune son rapport au monde, chacune portant ses préoccupations. Désir d’enfant, acceptation (ou non) des changements liés au temps qui passe, vieillesse, premières règles, sexualité et homosexualité, désir, anorexie, amour, maternité, maladie… En quelques phrases, quelques lignes, chacune de ces femmes nous touche parce qu’elle nous parle. On a ressenti, on a vécu, ou on a côtoyé des femmes qui ont aimé, ont eu peur, ont souffert, ont changé. Toutes semblables et toutes différentes. C’est la prouesse de ce roman que de porter ces différences, dressant un tableau de la féminité du XXIe siècle dans sa diversité.

Quant aux mots pour le dire, ils sont touchants et justes, et Camille Froidevaux-Metterie a su les mettre en voix en donnant à chaque personnage sa particularité, brossant un tableau rendant compte de toutes les diversités. Aucune véhémence, aucun excès, que de la nuance : ce roman sonne juste.

Un conseil pour le savourer pleinement : ne regardez pas la table des matières finale et laissez-vous porter par la surprise de cette ronde. Ronde aussi car on ne peut s’empêcher de penser aux vers de Paul Eluard (« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur – Un rond de danse et de douceur »), écho au titre peut-être ? et on imagine les yeux de cette petite Eve, centre du roman, celle par laquelle toutes ces femmes s’unissent, comme deux cercles inclusifs.

Alors ce livre il est pour qui ? Les femmes bien sûr ! Toutes… Un livre que l’on prendra plaisir à offrir et à partager comme un cadeau de sororité. Ou aux hommes que l’on aime, pour les faire entrer dans notre intimité !

Marie-Eve

Duchess

Chris Whitaker, traduit de l’anglais par Julie Sibony, Sonatine, mai 2022, 520 p., 23€

Il y a des livres que l’on apprécie pour le ton, le style. D’autres parce qu’ils nous apprennent quelque chose. D’autres encore parce que l’histoire nous est familière, que l’on aime à s’y retrouver. D’autres qui nous font rire. Et puis il y a ceux que l’on prend un jour comme ça, sur une pile très haute, ou au contraire un peu au milieu, parce que la couverture, parce que l’on se souvient en avoir entendu dire du bien, on pour une autre raison, on ne sait pas très bien. On ouvre, on lit deux trois pages le soir histoire de se dire qu’on commence un nouveau livre avant de se coucher. Et puis on est embarqué, l’heure passe, les pages se déroulent, les journées s’enchaînent avec la perspective heureuse de le retrouver. Ici pas de grande phrase, la construction est classique, pas de prouesse stylistique. Mais tous les ingrédients d’un récit romanesque : des personnages attachants et tout en nuances, des obstacles, des rebondissements, des mystères qui se lèvent et se dévoilent. Vous êtes prêts ? Alors écoutez…

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Connemara

Nicolas Mathieu, Actes sud, janvier 2022, 396 p., 22€

Connemara est une histoire d’amour sur fond de roman social. Rien de nouveau me direz-vous dans le thème ? Oui mais. Oui mais il y a la manière, et là, Nicolas Mathieu est un véritable alchimiste, maître en l’art de changer le banal en sublime. Gros coup de cœur de cette rentrée d’hiver.

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Ton absence n’est que ténèbres

Jón Kalman Stefánsson, Grasset, janvier 2022, 602 pages, 25€, traduction de l’islandais d’Éric Boury

Voici un livre où l’amour et la lumière règnent. Un livre dans lequel on s’immerge et se prélasse, comme dans l’eau sulfureuse dans laquelle se baignent deux des personnages du roman, et dont on n’a plus envie de sortir.

Tout au nord de l’Islande, au fin fond d’un fjord qui a la « forme d’une étreinte » (on vous laisse savourer la métaphore…), un homme, amnésique, cherche ses souvenirs. Ce faisant c’est l’histoire d’une famille sur plusieurs générations qu’il raconte, histoires d’amour, d’abandon, de trahison, de lumière et de ténèbres. Un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.

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Toucher la terre ferme

Julia Kerninon, L’Iconoclaste, janv. 2022, 116 p., 15€

J’avais adoré « Liv Maria », et « Ma dévotion« , et je me suis délectée à l’idée de ce nouveau livre. Beaucoup d’attente donc sur « Toucher la terre ferme »…

Et alors il est comment le dernier Julia Kerninon ? Il est sublime tout simplement. Il est aussi court qu’il est intense, il parle de l’amour, de la maternité, du fait d’être soi, du temps qui passe, de la permanence, de l’écriture, de la lecture. De la vie quoi.

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Les filles d’Egalie

Gerd Brantenberg, Zulma, janvier 2022, 376 p., 22€, traduction du norvégien de Jean-Baptiste Coursaud

En Egalie ce sont les filles qui dirigent le monde, qui ont les postes à responsabilités, qui sont cheffes de famille. Ce sont les hommes qui cachent leurs attributs sexuels jugés honteux, eux qui élèvent les enfants et restent à la maison, eux qui font en sorte que tout tourne au quotidien pour soulager leur épouse chérie du moindre tracas domestique. Je vois déjà les hommes fuir à la lecture de ces quelques lignes. Ce serait fort dommage car le livre n’est pas seulement féministe, il est drôle et pose de sacrées questions…

On suit la famille de Rut Brame, qui occupe un poste à responsabilités, directriçoire de la Société coopérative d’Etat, son mari Kristoffer, potelé à souhait (c’est ainsi que les hommes sont aimés des femmes) malgré une calvitie naissante qu’il s’efforce de cacher par tous moyens (un homme sans cheveux, beurk ! ils doivent être chevelus ET épilés à la peau douce), et leurs enfants, leur fils aîné Petronius notamment qui est un des personnages centraux du roman. Petronius rêve de prendre la mer et d’être marine-pêcheuse, il frémit d’émotion à l’approche du bal des débutants, il rêve du grand amour avec une femme qui s’occuperait de lui. Jusqu’à la rébellion et la naissance d’un mouvement masculiniste qui s’efforce de rétablir l’égalité. Le scénario est peut-être sans surprise, mais les conséquences qu’il induit, elles, le sont. Le « renversement » des valeurs portées par la société ainsi provoqué, qu’il s’agisse des relations sexuelles, de l’image portée par le sexe, des rôles dans la famille et la société, tout est sujet à drôlerie et réflexion. Délectez-vous avec la description de la procréation (p. 142), de la naissance au sein du Palais des naissances (p. 188), de la révolte des hommes qui brûlent leurs « soutiv » (le soutien-verge est un attribut essentiel de l’homme qui entre dans l’âge adulte !) des réflexions des protagonistes sur la langue où le féminin l’emporte systématiquement sur le masculin (p. 212).

Car il faut souligner ce parti-pris fort de l’autrice de tout féminiser, et par conséquent, on l’imagine, la prouesse qu’il a fallu au traducteur pour en rendre toute la finesse. A sa lecture, on voit comment le féminin dans le langage quotidien (« fumain » au lieu « d’humain » pour tout ce qui touche à l’homme et à la femme dans leur ensemble, les tournures impersonnelles systématiquement féminines, le féminin qui l’emporte bien sûr sur le masculin au pluriel, etc, etc) fournit des biais évidents dans la perception. Vous verrez, on s’habitue très bien au bout de quelques pages au « elle y a… » ! (Et saluons au passage le travail remarquable du traducteur ! Un orfèvre, sans conteste…)

Et puis il y a bien sûr en filigrane toutes les théories féministes qui sont « masculinisées » (la stupidité de l’explication biologique en est un exemple flagrant), et cette mise en abîme est vertigineuse. Même Hegel et sa dialectique du maître et de l’esclave est appelé à la rescousse, et le propos est lumineux.

On se demande bien pourquoi ce livre, paru en 1977 en Norvège, rapidement traduit et sorti en Suède, en Allemagne, aux Etats-Unis… a mis temps de tant pour paraître en France. Merci aux éditions Zulma, une fois de plus, de jouer à plein leur rôle d’éditeur et de passeur de savoir.

Vous l’avez compris c’est un gros coup de cœur, et un livre qui doit être lu non seulement des femmes mais des hommes, sans aucun distinction de sexe.

Marie-Eve

Notre solitude

Yannick Haenel, Les échappés, nov. 2021, 190 pages, 18,50€

Il est tard. Froide nuit noire. Je ferme la dernière page de ce livre avec l’envie pourtant, irrépressible, de partager son caractère unique. Il est essentiel de lire « Notre solitude » de Yannick Haenel, pour continuer à tisser ce lien entre le monde des morts et celui des vivants, continuer à porter nos solitudes unies. Continuer à malaxer cette phrase que l’auteur met en exergue du récit, issue du Livre de Job : « Dites-moi où habite la lumière, et quel est le lieu des ténèbres ».

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La jeune femme et la mer

Catherine Meurisse, Dargaud 2021, 114 pages, 22,50€

Catherine Meurisse était en résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto en 2018 et ce livre est en le fruit. Largement inspiré du roman de Soseki « Oreilles d’herbes », il met en scène la dessinatrice qui, en mal d’inspiration, croise le chemin d’un peintre lui-même en mal d’inspiration. Le dessin de Catherine Meurisse est aussi merveilleux et fin que d’habitude, le côté japonisant en plus lui apporte un surplus d’esthétisme, qui en fait un véritable bijou.

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Rendez-vous à Positano

Goliarda Sapienza, Le Tripode, 2018, 220 pages, 11€

LE livre à glisser dans ses bagages pour un voyage en Italie, entre Naples et Amalfi, à Positano ou Praiano. Dans cette magnifique histoire d’amitié, on retrouve avec délice l’autrice de « L’art de la joie » dans ce qu’elle a d’intime, de sensible, de tendre, des sentiments à fleur de peau.

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Les grandes oubliées – Pourquoi l’histoire a effacé les femmes

Titiou Lecoq, L’Iconoclaste, sept. 2021, 326 p., 20,90€

Voici par excellence le livre dont on se dit : mais comment et pourquoi n’a-t-il pas été écrit avant ? En un peu plus de 300 pages, Titiou Lecoq brosse l’histoire de l’humanité, ou plus précisément l’histoire des femmes. Ce qu’elles ont fait de remarquable, tout aussi bien ou mieux que les hommes, qui elles étaient, pourquoi l’histoire ne les a pas – ou peu – retenues (jusqu’à maintenant !). Et comment rompre la chaîne. Un livre « à lire absolument » comme le dit si bien Michelle Perrot dans sa préface.

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